Angel Marcos
A Cuba
Nous obligeant, par ses grands formats à une lecture de détail, Ángel Marcos met en évidence l'insularité singulière d'un Cuba hors du temps, mais aujourd'hui aussi hors de l'Histoire. C'est cette confrontation muette qui fait l'intérêt de ce travail.
L'exposition
Une apostrophe muette1
Dans un livre célèbre du journaliste américain Carlton Beals, The crime of Cuba, publié en 1933, Walker Evans pose un regard sur Cuba que le dictateur Gerardo Machado dirigeait alors d’une main de fer. Sans complaisance, mais en essayant de garder la bonne distance, Walker Evans parcourt les rues de La Havane, à la recherche d’une typologie sociale et urbaine. Il mélange portraits réalisés à même la rue et photographies d’architecture: publicités, enseignes, inscriptions murales trouvent dans son champ de vision, une place adéquate. C’est en accumulant les signes qu’Evans s’efforce de franchir la surface visible des plans et d’aller au-delà de “ce qu’ils affichent et dont ils sont l’affiche”2. C’est cette même réflexion que poursuit, plus de soixante ans plus tard, Ángel Marcos. Mais il substitue à la neutralité de l’inventaire frontal taxinomique d’Evans un inventaire poétique et politique. Dans ses grands “tableaux” colorés, deux discours se juxtaposent, celui historique d’avant la révolution castriste et celui, désormais dépassé, de l’après. Contrairement aux utopies urbaines des gouvernements socialistes de certains pays d’Europe Centrale et Orientale, Castro à La Havane n’a pas cherché à faire table rase du patrimoine architectural, comme à Bratislava ou à Bucarest. Tout, au contraire, a été conservé en l’état. Ce qui s’est construit, c’est un discours fondé sur une idéologie omniprésente. Au poids du bâti, s’est ajouté le choc des formules et des slogans.
Nous obligeant, par ses grands formats à une lecture de détail, Ángel Marcos met en évidence l’insularité singulière d’un Cuba hors du temps, mais aujourd’hui aussi hors de l’Histoire. C’est cette confrontation muette qui fait l’intérêt de ce travail. La vraie vie semble avoir déserté ces rues et ces maisons. Elles ne semblent plus résonner du rire de ses habitants : ” le mort saisit le vif “. Dès lors, et c’est ce qui fait toute l’étrange beauté du travail d’Ángel Marcos, chaque image est comme un portrait du Fayoum et chacune d’entre elles nous interpelle en silence…
Jean-Luc Monterosso
Directeur de la Maison Européenne de la Photographie
Extrait du catalogue Ángel Marcos, in Cuba, publié par la MEP en collaboration avec le Musée de Naples et Alcón Hotel Cutural Center, 2006.
1 Une apostrophe muette : titre inspiré de l’ouvrage de Jean-Christophe Bailly sur les portraits du Fayoun
2 Gilles Mora, Walker Evans : Havana 1933, Paris, Contrejour, 1989 (p.22)
Remerciements à la Galerie Ernst Hilger.