Des jeunes filles se vendent dans des ghettos de fraîchenies (fraîches) à Abidjan, où les clients savent qu’ils trouveront des filles de 10 à 24 ans, aux prix les moins élevés du marché. 1€50 la passe.
Les go de nuit vivent en dehors de tout, même des territoires de la prostitution professionnelle. Elles font peur. Analphabètes, en majorité musulmanes, souvent sans acte de naissance, elles souffrent avant tout de l’opprobre social à laquelle elles répondent par la violence et la provocation.
A l’origine, elles ont fui les zones militarisées du nord en 2002, lors de la partition du pays en deux. Elles se sont regroupées pour survivre et gagner l’indépendance qu’elles n’ont jamais pu obtenir au sein de leurs familles.
L’image photographique a été la pierre angulaire de ce projet partagé. Alors qu’elles se pensent la lie de l’humanité, elles se sont trouvées belles dans les premiers portraits que j’ai réalisés d’elles. Je les ai présentés dans une exposition en 2011 à la Maison de métallos.
Avec ces photos, j’ai récolté 10 000€, une aide financière que je leur ai apportée sous forme de projets sociaux. Cette initiative m’a permis de me rapprocher de celles que j’ai réussi à retrouver, très étonnées que j’ai tenu parole. De cette nouvelle place qu’elles ont consenti à me donner, j’ai saisi des moments d’intimité. Le temps aboli laisse place à leur mystère, leur grâce pleine d’un furieux désir de liberté.
Dans l’imaginaire collectif, elles sont coupables de leur déchéance, souillées et frappées d’infamie. Ou alors victimes d’une malédiction, de la pauvreté, de l’ordre mondial.
Je les regarde là où on ne les attend pas, au plus profond du partage de nos subjectivités. Une photo qui nous rattache par le beau plutôt qu’une photo de la déshérence.
Expostion produite par Taggama en coproduction avec la Maison des Métallos, en partenariat avec L’IRIS (CNRS / EHESS / INSERN / UP13) et le Labex TEPSIS. Avec France Inter.