Depuis plusieurs décennies, l’industrie du cinéma a diversifié ses modes de production, diffusion et consommation. Depuis lors, les films se sont dilués dans une multitude de simulacres, de prothèses, de produits dérivés virtuels ou réels.
L’œuvre d’Éric Rondepierre, dont les prémisses coïncident avec cette mutation, n’est ni un hommage au cinéma, ni une tentative de restauration ou une nostalgie de son « aura ». En tant qu’artiste, il a pris simplement appui sur cette situation historique pour parcourir les marges d’un monde dont les fragments sont maintenant à portée de la main. Il s’y réfère comme à une « nature », un corpus dans lequel il pioche allègrement en explorant ses angles morts. C’est ainsi qu’à la charnière des années 1980 et 1990, l’artiste commence à faire ce qu’il appelle de la « reprise de vue » : il prélève des images dans les longs métrages de fiction.
D’abord chez lui, en choisissant d’isoler certaines images noires à l’aide du magnétoscope (Excédents) : « La “toile blanche” sur laquelle Éric Rondepierre a commencé à élaborer son œuvre d’artiste plasticien, après avoir abandonné le théâtre et délaissé la peinture, était un écran noir ». Plus tard sur les rubans pelliculaires, à la table de montage, dans les cinémathèques et les archives privées (Annonces, Précis de décomposition, Suites…), enfin récemment avec le numérique sur ordinateur (Loupe/Dormeurs, DSL, Background).
À chaque nouvelle série correspond une règle du jeu qui se constitue au fil de ses recherches. En spectateur archiviste ou archéologue, il repère « ce que les yeux n’ont jamais vu », c’est-à-dire ces images de film en relation avec des évènements « parasitaires, périphériques, atomes indiscernables en gravitation interne, décalages subtils, accidents évanescents, micros phénomènes qui n’ont plus le moindre rapport avec le cinéma ».
Pendant 15 ans, il documente la fiction (prélèvement sans retouche), puis, dans les années 2000, il commence à fictionnaliser le document en faisant dialoguer des images de films avec des photos qu’il prend dans son quotidien (Loupe/Dormeurs, Parties communes, Seuils…). Mais toujours avec une attention hypertrophiée, il guette les aberrations du dispositif filmique, authentifie les décalages, les métamorphoses de ces images orphelines, provoque des rencontres, des hybridations, élabore des hypothèses.
L’exposition témoigne d’un parcours de 25 ans en territoire d’images.
Éric Rondepierre
Né en 1950, à Orléans. Éric Rondepierre vit et travaille à Paris.
Il est diplômé des Beaux-Arts de Paris. Egalement titulaire d’un DEA de littérature comparée (Paris VII) et d’un doctorat d’Esthétique (Paris 1). Comédien professionnel, il a travaillé avec des metteurs en scène de théâtre et avec des chorégraphes. Il a réalisé un court-métrage, des performances, et plus tardivement, des peintures. Au début des années 1990, il entreprend un travail photographique lié au cinéma.
Son activité artistique joue sur les rapports dynamiques qu’entretiennent ces deux pratiques. Elle comprend à la fois un travail photographique qui a fait l’objet de multiples expositions en France et à l’étranger depuis le début des années 90, et un travail d’écriture, qui, mené simultanément, a donné lieu à une dizaine d’ouvrages.
Comme le suggère le titre d’un des ses livres (« La Nuit cinéma », Seuil, 2005), la part « aveugle » du film est à la source de la plupart de ses œuvres photographiques. Son intervention consiste à choisir, selon des critères bien définis, puis à extraire des photogrammes, c’est-à-dire des images qui apparaissent sur l’écran 1/24ème de seconde et qui sont totalement invisibles lors d’une projection normale, pour ensuite les proposer sous la forme de tirages grand format. Cette économie de l’image, souvent qualifiée de « conceptuelle», mobilise plusieurs registres (texte, peinture, cinéma, photographie) avec une rigueur qui n’excluent pas l’étrangeté et l’humour.
Un livre collectif lui a été consacré aux éditions Léo Scheer en 2003 (textes de Pierre Guyotat, Daniel Arasse, Denys Riout, Hubert Damisch, Jean-Max Colard, Alain Jouffroy, Marie-José Mondzain,…) ainsi qu’un essai de Thierry Lenain (« Eric Rondepierre, un art de la décomposition »), éditions La Lettre volée, Bruxelles, 1999.
Ses photographies figurent dans les collections publiques françaises (Maison Européenne de la photographie, Fonds National d’Art Contemporain, Cinémathèque Française, Centre Pompidou…) et internationales (MoMA de New-York, LACMA de Los Angeles, Houston Fine Art Museum…).
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Expositions « IMAGES SECONDES » présentées :
du 4 février au 5 avril 2015 à la Maison Européenne de la Photographie, Paris
et du 15 janvier au 1er mars 2015 à la Maison d’Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne.
Partenaire média
Connaissance des Arts
MÉCÉNAT DE COMPÉTENCE
Traduction des textes d’exposition réalisée grâce au mécénat de compétence de l’agence THOMAS-HERMÈS