Quelle force entraîne les foules de pèlerins à travers les plus hautes montagnes et l’étendue infinie des déserts ? Qu’ont donc en commun ceux qui lèvent les mains au ciel et ceux qui frappent le front contre le sol ? Pourquoi certains sont-ils nus et d’autres couverts jusqu’aux yeux, d’autres rasés, polis comme des amandes, ou bien avec des cheveux longs mêlés à la barbe dans d’immenses turbans ? Qui habite les corps transpercés des flagellants, qui les membres couverts de cendre, qui se cache sous la peau, peinte ou tatouée de dessins enchevêtrés, qui derrière les masques, qui derrière le voile ? L’extase, la transe, la contemplation et la méditation mènent-elles à une perception indicible de la mort, ou bien à une réalité physique déchirante ? À travers l’expérience directe, sans intentions encyclopédiques, j’ai pendant huit ans suivi la voie d’un projet photographique autour d’un cheminement personnel : le Don. […]
Giorgia Fiorio
(Extrait du texte “Le Don 2000 2009”, in Le Don, Actes Sud, 2009)
[…] Giorgia Fiorio a fixé ces moments particuliers de l’existence au cours desquels l’être humain cherche le sens de la vie, une ou la vérité, de même qu’un salut ; mais elle a aussi émis l’hypothèse d’un lien entre tous ces moments. Un mystère commun qui se loge dans le corps des sujets qu’elle photographie. Que celui-ci, selon le type de communautés religieuses ou spirituelles à laquelle le sujet appartient, reste absolument immobile ou dessine au contraire toutes sortes de gestes, qu’il soit ignoré, comme transparent, ou bien objet de lacérations, voire de mutilations, qu’il s’anime de furieux tremblements ou encore exprime la sérénité. Car c’est bien de l’expression qu’il s’agit ici, et en toile de fond d’un langage, du langage. Le corps qui irradie dans les images de sa présence souvent exceptionnelle, au delà de l’humain, fait signe par lui-même ou bien en se combinant avec d’autres. Il dialogue avec des éléments de la nature – l’eau, le feu, la terre, la pierre -, ou l’acier des instruments qui caractérisent certains rites ; il s’inscrit dans des paysages, cherche parfois à s’y fondre. Seul ou associé à d’autres, il prend part à un mouvement, développe une séquence dont la photographie fixera un instant significatif. Celle-ci nous le fait imaginer silencieux, ou à l’inverse pris dans un vacarme assourdissant. “Le Don” de Giorgia Fiorio est le récit d’une confrontation avec tous ces corps qui sont autant de signes, de “fragments de discours” pour reprendre une formule de Roland Barthes. Elle ne cherche pas à les rendre plus lisibles, ni même à les expliquer. Elle nous laisse libres de la suivre sur les chemins de leur mystère, ou bien de les appréhender autrement, les regarder comme une forme pure, une soudaine dépense d’énergie, un éclat de lumière. […]
Gabriel Bauret
(Extrait du texte “Sur les chemins du mystère”, in Le Don, Actes Sud, 2009)