“Les arbres, a dit un sage un peu misanthrope, me consolent des hommes mieux que les animaux, avec lesquels ils ont trop de ressemblance“.
Comme la rose dont parle le Pèlerin chérubinique, ils sont “sans pourquoi”. Silencieuse, sans défense, leur beauté donne sans rien demander en échange, et ils dispensent sans compter, outre leur ombre, leur feuillage, leurs fleurs et leurs fruits, l’admirable élan qui les enracine dans la terre en même temps qu’il les porte vers la lumière et le ciel : un admirable exemple d’attitude d’âme. Le plus bel éloge des arbres a été d’imaginer qu’ils aient servi de modèle aux architectes des temples grecs et des cathédrales gothiques.
J’ai été tenté de faire des portraits photographiques d’arbres. Aucun n’a répondu au sentiment qu’ils m’inspirent. Seule la poésie d’Ovide, qui fait de certains arbres des métamorphoses sereines d’amants tragiques, ou la peinture du Titien, de Claude, de Fragonard, qui fait d’eux des métaphores ailées de nymphes ou de fées, est à la hauteur de ce que je sais d’eux. Alors je me suis rabattu sur la vue rapprochée, et j’ai découvert que la photographie pouvait du moins fixer ce que l’on ne regarde le plus souvent qu’en passant et distraitement, le cuir des arbres. Sur leur tronc, support de riche et vive matière, se révèle aussi, partie pour le tout, le grand art généreux de la Nature, dans son génie ignoré de buriniste et de peintre coloriste sur bois.
Les chênes, les oliviers exposent sur leur cuir repoussé des chefs d’œuvre de la gravure. Les bouleaux, les eucalyptus, sur leur peau lisse portent d’autres chefs-d’œuvre, de dessin et de coloris. On passe trop vite devant eux. Par la brève anthologie que propose cette exposition, je souhaite partager avec les promeneurs en forêt, les visiteurs de jardins botaniques, les explorateurs de pays lointains, les joies esthétiques que donne l’incroyable et infaillible génie plastique de la Nature, graveur et peintre ” abstraits ” sur le cuir de nos amis les arbres…
Marc Fumaroli, 2007